Alors qu'elle souffre des insultes que graffite méchamment Geneviève sur les murs et portes de l'école, qu'elle se trouve grosse et moche comme une saucisse, qu'elle s'évade dans la lecture du roman Jane Eyre et qu'elle apprécie tout de même sa solitude, en marchant à travers les rues de son quartier de Montréal, Hélène redoute d'avoir à passer quelques jours en classe d'immersion anglaise au camp du lac Kanawana avec le reste des élèves de sa classe. Sur place, elle fait l'objet d'autres railleries. Or, l'avant dernier soir, assise sur la galerie de sa cabane, un renard la regarde et l'approche. Suzanne hurle alors et la prévient qu'il est certainement enragé, malade et dangereux. Hélène est à nouveau repliée sur elle-même, convaincue que, comme dans son roman, un malheur se cache nécessairement derrière un bonheur naissant. Mais Géraldine vient tout changer et lui apporte la complicité de son amitié sincère.
Une oeuvre magnifique et sensible qui aborde, avec délicatesse et doigté, tant par le texte que par l'image, le thème de l'intimidation, et ceci sans le nommer. Ainsi, dans un cadre familial ordinaire d'un passé assez proche, où la mère travaille sans relche et sans se plaindre à s'occuper de sa fille et de ses deux garçons, on expose la solitude de cette enfant introvertie qui n'avoue jamais à sa famille qu'elle est victime de harcèlement à l'école, mais dont on découvre, au fur de ses activités (parcours en autobus, vie en classe, magasinage d'un maillot de bain avec sa mère, visite chez le médecin), le monde intérieur oppressant, les sentiments de tristesse et de solitude, que nourrit sa très faible estime d'elle-même corroborée par ses agresseurs. Le graphisme doux en camaïeux de gris admirablement bien servi par des grilles sans cadre et des illustrations pleine page, pour ce qui est du récit de sa vie, puis en couleurs lorsqu'elle s'évade par la lecture et qu'elle parvient à être heureuse, traduit parfaitement l'état d'esprit de l'enfant. Certaines doubles pages sobrement illustrées d'un unique portrait viennent un peu plus appuyer le propos, en lui conférant une intensité quasi désespérée, ce qu'on ravive de couleurs en conclusion, alors qu'Hélène est en voie de s'en sortir. Cet album est riche de plusieurs dimensions humaines et artistiques et on veillera à le laisser facilement accessible aux plus timides tout en en faisant peut-être la lecture en classe pour discuter d'intimidation et de harcèlement. Souhaitons d'ailleurs qu'il soit aussi publié dans un format souple peut-être un peu plus petit pour que les plus vieux se l'approprient aussi. [SDM].